Riosucio : un pont culturel entre la Colombie et la France

Au pied de l’imposant Cerro Ingrumá, gardien ancestral des communautés indigènes, se trouve la ville de Riosucio dans le département de Caldas : un village tissé de fils d’histoire et de traditions inébranlables. Au carrefour de trois peuples — indigène, africain et européen — ce coin du monde est une célébration vivante de coutumes ancestrales. Ses sols riches en ressources et sa végétation abondante témoignent de la fertilité et de la richesse de la nature environnante. Ici, la ferveur religieuse se mêle à des célébrations païennes où l’on célèbre un « diable » lors d’un carnaval. À Riosucio, l’air est doux, l’eau suit son cours en portant l’histoire du lieu, et le feu réunit les habitants autour des traditions du Nord-Ouest de Caldas.

Riosucio est une véritable mosaïque d’héritages indigènes, un territoire tissé par les habitants de quatre réserves : Nuestra Señora de La Montaña, Cañamomo y Lomaprieta, San Lorenzo, et Escopetera y Pirza. Chacune, avec son propre rythme et son âme singulière, conserve des récits qui attirent un nouveau type de voyageurs : ceux qui cherchent plus que des paysages, qui explorent les sentiers de la mémoire, de la nature et de l’héritage culturel.

Le Cerro Ingrumá, majestueux et sacré, n’est pas seul sur cette terre magique. À ses côtés se dressent les cerros Buenos Aires, Poolcas, El Gallo et Viringo dans la réserve de San Lorenzo, tandis que sur les terres de Cañamomo y Lomaprieta s’élèvent Sinifaná, Lomagrande, Carbunco et Picará, témoins silencieux de la vie qui les entoure. Ces gardiens naturels ne font pas seulement partie du paysage : ils sont l’écho d’un peuple qui respire l’histoire et les savoirs anciens.

La magie de la Vallée des Pirzas : un Français y a trouvé son foyer

À 1400 mètres d’altitude, dans une vallée au riche passé historique, jadis scène d’affrontements entre caciques et conquistadors européens — s’élèvent les Cabañas de la Pradera. Ce coin, autrefois terre de maïs et de haricots, fleurit aujourd’hui en plantations de café et de canne à sucre. Sur deux hectares de sérénité, ce paradis de guadua (bambou) a été façonné à la main par son hôte : un gardien du « resguardo le plus paisible de Riosucio », comme il aime l’appeler.

Ici, la nature ne se contemple pas seulement, elle se vit : la nourriture naît de la terre, l’eau descend fraîche d’un ruisseau voisin, et l’air se charge du murmure des rochers qui gardent le silence sacré de cette terrasse naturelle où règne une sérenité totale. De là, on peut observer au loin les villes de Salamina, La Merced, Neira, Anserma, Aranzazu et Manizales, qui se dessinent à l’horizon, comme un poème calme et harmonieux.

Conquis par la magie de la « Perle d’Ingrumá » — autre nom de Riosucio — Thomas Antoine Bachalard-Fricot est arrivé ici il y a quinze ans. Français passionné d’apiculture et d’architecture en guadua, son histoire commence par une invitation d’un habitant de Riosucio. Dès son premier contact avec ces terres, il sut qu’il ne repartirait jamais. Né à Laval, dans l’ouest de la France, ancien capitaine de voilier dans les eaux de San Blas au Panama, Thomas a trouvé ici son ancre définitive.

Ce qui avait commencé comme une maquette faite de petits bâtons est devenu Les Cabañas de la Pradera, un lieu d’accueil pour voyageurs. Aujourd’hui, entre la brise des montagnes et le murmure du ruisseau, Thomas appelle Riosucio son foyer, un coin qui mêle nature, tradition et le cœur d’un étranger devenu membre de la communauté.

Bien que Thomas ne soit pas particulièrement amateur du carnaval et de la fête, il s’est enraciné dans la culture locale avec une approche paisible et communautaire. Il offre aux touristes le café cultivé par ses voisins, recommande d’autres lieux à visiter et promeut un tourisme solidaire qui bénéficie à toute la région. Dans ce refuge vivent aussi six chiens, des poules, des chevaux et d’autres animaux qui complètent un cadre de vie en harmonie avec les éléments.

Un bourdonnement qui séduit : la passion de Thomas pour les abeilles

Depuis toujours, Thomas rêvait d’une ferme dédiée aux abeilles, et à Riosucio, il a trouvé l’endroit idéal pour concrétiser ce rêve. Bien que les abeilles locales, issues d’une souche africaine, soient réputées pour leur agressivité, elles sont aussi très productives. Sa propriété compte 20 ruches qui produisent non seulement du miel, mais enrichissent aussi l’écosystème naturel.

« J’aime travailler avec les personnes qui pratiquent l’observation des oiseaux. Les abeilles attirent des espèces peu fréquentes ici », dit-il avec fierté.

Son potager, plein de vie et de couleurs, nourrit non seulement les abeilles, mais est devenu une oasis pour les oiseaux comme pour les visiteurs. Dans une vision mêlant travail et amour de la terre, il a planté plus de 1 000 arbres de la région : arrayanes, guayacanes, eucalyptus et d’autres espèces sucrées, pensées spécialement pour ses ruches.

À la nuit tombée, Thomas trouve le moment idéal pour travailler avec ses abeilles. Avec une lumière rouge pour ne pas les déranger, il récolte le meilleur miel dans la quiétude de l’obscurité.

« L’idée est de ne pas les déranger ; la nuit, c’est leur moment de tranquillité maximale », explique-t-il en les admirant dans un coin de l’une de ses cabanes.

Bien que la production de miel se concentre sur trois mois de l’année, Thomas consacre le reste de son temps à s’assurer que ses ruches aient toujours de quoi se nourrir. C’est pourquoi l’air de sa ferme est rempli de parfums de menthe, de moutarde et de fleurs sucrées.

Son amour pour ces insectes dépasse ses propres ruches : les voisins l’appellent souvent pour venir sauver des essaims trouvés sur leurs terres, faisant confiance à son expérience et à son respect pour la nature. Ainsi, sa vie s’entrelace entre le bourdonnement des abeilles et les conversations avec les touristes, attirés par la sérénité et l’authenticité qu’il a su bâtir.

Les Cabañas de la Pradera : un espace de reconnexion avec soi-même et avec la nature

Depuis un an et demi, Thomas accueille des visiteurs séduits par la tranquillité et le charme du lieu. Certains empruntent la route entre Jardín (Antioquia) et Salento (Quindío), tandis que d’autres explorent Anserma, Salamina et La Merced.

« Le touriste qui fait la route Jardín–Salento est très différent de celui qui visite Salamina ou La Merced », observe Thomas.

« Le premier semble pressé ; le second prend le temps de contempler. »

Avec des yeux attentifs, il remarque que la région attire de plus en plus de randonneurs, ce qui l’a motivé à planifier la création de nouveaux chemins permettant aux visiteurs de découvrir l’âme de ces terres à leur propre rythme.

Aujourd’hui, Thomas a établi des partenariats avec des opérateurs français, attirant des touristes francophones qui trouvent ici un lieu de connexion culturelle en pleine nature colombienne.

« Le touriste français aime la nature, les oiseaux et les surprises liées au changement d’altitude, car ils découvrent de nouvelles espèces à chaque arrêt », explique-t-il.

Bien que sa ferme accueille aussi des Colombiens et des visiteurs d’autres pays, il souhaite offrir un lieu particulièrement accueillant pour ses compatriotes.

« Je n’ai pas de coqs, car les touristes français ne les aiment pas trop, malgré le fait qu’ils soient le symbole de notre pays. Ils n’apprécient guère leur chant matinal », plaisante-t-il.

Il note également que de nombreux Français préfèrent être hébergés par des hôtes qui partagent leur langue, cherchant une proximité qui rend leur expérience encore plus agréable.

Tout en préparant la nourriture pour ses chevaux, Thomas médite sur sa vie dans la vallée.

« Si tu choisis de vivre dans une ferme avec des animaux, cela ne vaut pas la peine de partir. Maintenant, ce sont les voyageurs qui me racontent leurs histoires du monde extérieur », dit-il.

L’hospitalité de Thomas se manifeste non seulement dans son accueil chaleureux, mais aussi dans sa cuisine, où les plats mêlent influences françaises et saveurs colombiennes, offrant aux visiteurs une expérience complète. Chaque détail démontre son engagement envers un tourisme de qualité, montrant avec clarté comment recevoir et prendre soin d’un touriste.

Amis du Français : un pont entre les cultures

Pour Thomas, le programme Amis du Français n’est pas seulement une initiative touristique, mais un pont qui rapproche ses compatriotes de la richesse de la Colombie. Il est convaincu que ce type de programme ne fait pas qu’encourager le tourisme dans la région, mais entrelace aussi des cultures qui, bien que géographiquement éloignées, ont beaucoup en commun.

La voix chargée d’émotion, Thomas décrit Riosucio comme un lieu magique, plein d’authenticité.

« C’est un village très typique, avec des gens formidables, entouré de montagnes verdoyantes et d’une incroyable diversité d’oiseaux », confie-t-il les larmes aux yeux.

Il ressent aussi la responsabilité de changer l’image erronée que beaucoup ont encore de la Colombie à l’étranger.

« La Colombie est un pays magnifique », affirme-t-il, et il invite tout le monde à découvrir les charmes et la magie de ces terres qu’il considère désormais comme les siennes.

Thomas semble avoir trouvé à Riosucio un destin prédestiné, une connexion qui dépasse le simple hasard. Le blason de la municipalité, dessiné dans le style français en hommage à Jean-Baptiste Boussingault, symbolise ce lien historique avec la France, pays qui traça aussi les premières rues de cette terre pleine de charme. Aujourd’hui, Thomas porte cet héritage dans sa propre histoire, étant un ambassadeur moderne de ce patrimoine culturel. De la même manière que le blason et les rues donnent forme à l’âme de Riosucio, il contribue à en façonner le présent — entre ruches, montagnes et l’accueil chaleureux qu’il réserve à tous ceux qui arrivent.

Articles connexes